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Le petit sentier
Le petit sentier
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29 mai 2006

Avec des si...

Je verse la farine dans le plat en bois. Je verse l’eau dans le plat en verre. Je verse le sel dans le creux de ma main, il y en a assez ou pas, et puis dans la farine. J’émiette la levure dans l’eau tiède puis je remue pour la dissolution.

Le bar est enfumé, les gens sont serrés comme des sardines, on reste quand même, plantés là au milieu comme des naufragés. Les gens tout autour nous réchauffent. La serveuse arrive à notre secours.
Vous voulez une place ou un truc dans le genre ? Je ne peux pas grand-chose pour vous.
Non, mais on est bien là.
Vous restez là ? Je vous sers quoi ?
Une Leffe… Non deux Leffes et puis…

Je fais un puit au milieu de la farine, je verse l’eau tiède dedans. J’ouvre le placard, je cherche la cuillère en bois, elle se cache toujours tout au fond, dans le noir. Je la trouve. Je remue la farine et l’eau ensemble. La pâte se forme doucement. Elle résiste. Les morceaux de pâte se décollent des bords du plat.

Je tourne la tête, je rencontre son regard. Elle est assise à côté de nous. Elle parle avec une petite dame toute grise. Elle a des sourcils foncés et des yeux verts très perçants. Elle se tient d’une manière très assurée, un peu cavalière. Ses cheveux blonds sont attachés sans ménagement. Elle porte un sweats bleu clair, délavé. Elle s’allume une fine cigarette roulée. Elle est très jolie, enfin je la trouve très jolie… Elle a une allure très franche et rassurante…

J’attrape la boule de pâte. Je la recouvre de farine. Sinon ça va encore coller ce machin. Je malaxe le tout, c’est doux… J’étale, je tords, je rassemble, je caresse, je bats…Je lui montre cette boule, je lui dis de sentir… Il approche son nez, je lui colle la pâte dessus pour le taquiner… Je lui dis « regarde ! » et j’étale la pâte sur mon visage, c’est frais… Mon visage en négatif…

Je la regarde encore, elle me regarde aussi. Son visage invite à la conversation. De longues discussions tranquilles où enflammées. Ses yeux ! Elle essaye de nous parler, la musique est très forte. Elle dit qu’elle va bientôt partir, qu’elle va nous laisser la place. Sa place. Un grand tabouret très haut sur lequel elle est perchée, accrochée, ce tabouret qu’elle domine véritablement. Elle se lève. Mon Dieu comme elle est grande ! Et charpentée comme, comme un bel arbre…

Je pose la boule dans le plat en bois. J’ouvre l’autre placard et je prends un torchon propre. Une odeur de bois, de savon, de vinaigre. Je recouvre le plat avec le torchon. Je vais dans la chambre, je pose le plat sur le lit et la couette sur la plat. Le pain va lever.

Si elle me disait « viens » je pense que je la suivrais.

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Commentaires
P
Vraiment bien . La tension entre des aspirations contraires est trés bien rendue ................. .
G
qui est ce "nous"?<br /> que deviendrait l'autre moitié du nous si tu la suivais?
O
Vraiment? <br /> Il est beau, ce texte, Lili.
Le petit sentier
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